A partir du Jeudi 30 avril au soir sera dévoilée quotidiennement par les autorités compétentes, la carte régionale des infestés et des sains. Différenciation géographique et remise en liberté conditionnée, soumise à un enfantin code couleur de vert et de rouge, de feu de signalisation, sans orange pour couper la poire en deux. Un simplissime système de «bien et de pas bien», «de go et de no go», «de toi tu sors, toi tu sors, toi tu restes», cher à Dewey. Car les fameux tests virologiques tant réclamés rendront leurs couperets suffisamment tôt. Vous deviez certifier sur l’honneur ne sortir de chez vous que pour raisons légitimes et pas plus d’une heure. Bien. Un facétieux coton-tige dans les narines d’un membre de votre foyer et voilà votre honneur balayé d’un revers de manche morvée, retour à la maison, vous avez perdu, merci de rejouer dans quatorze jours.
Pour les sains de corps qui n’auront pas perdu l’esprit au sortir de cette séquence, s’ouvre désormais une nouvelle période de bagne où l’accent sera mis sur le retour au travail au nom de la relance de cette sacro-sainte économie et de son chevaleresque point de croissance du PIB. Nous allons devoir trimer dans nos entreprises et commerces, chacun soumis à des conditions d’emploi strictes, sans pouvoir saluer les collègues de trop près, uniformisés derrière nos masques ou masqués derrière nos uniformes. En tout cas pour ceux qui seront embauchés sur les mêmes heures que nous. Mais pas encore de petites récompenses pour service rendu, de possibilités de vibrer devant un match, un affrontement entre géants, de s’émouvoir devant un film récent ou de s’amuser devant les pitreries de comédiens et comédiennes sur scène. Et surtout pas encore de regroupements avec des amis autour d’un verre en terrasse de café pour discuter de la pluie, et surtout du beau temps, ou échanger des idées, des avis et débattre.
Mais, paradoxe oblige, nous pourrons aller infecter nos proches à domicile, directement chez eux ainsi que d’autres invités dans la limite des stocks disponibles, à savoir dix personnes.
Profitez de ces derniers jours enfermés pour bien vous assouplir, le twister géant qu’il faudra organiser pour se retrouver, sans s’approcher, nous poussera dans nos retranchements d’imagination, en intérieur dans un premier temps, et pour peu que la météo se prête au jeu, lors d’apéros géants organisés en plein air. Quitte à danser sous les lucarnes d’un musicien électronique, autant faire griller quelques saucisses dans un parc et si, selon les américains, l’alcool tuerait le virus alors l’immunité nous tend ses bras car tel Obélix, nous sommes nombreux à être tombés dedans étant enfant.
Mais prenons-y garde, animaux sociaux que nous sommes, car la seconde vague épidémique nous guette derrière son masque gris et pourrait bien nous empêcher d’aller goûter l’écume blanchâtre de l’océan estivant. Possible seul loisir survivant après l’hécatombe programmée des festivals, concerts et autres fêtes qui avaient pris l’émouvante habitude de rythmer nos vacances. Facebook sera là pour nous rappeler à quel point c’était mieux avant…
Car nous entrons dans ce qui sera sûrement la phase la plus dure de ce confinement, et oui, le retour à la vie « normale ». Un numéro d’équilibriste entre nos envies, nos devoirs et nos consciences. N’est-ce pas plus dur de ce restreindre lorsque l’objet de nos désirs est là, à portée de main mais qu’un seul pas dans sa direction peut nous l’enlever et nous en déposséder à jamais. Tantale, nous serons, à la fois prisonnier et gardien de nos propres appétits.
Mais je conçois ces décisions, motivées par un pragmatisme poussé à l’extrême qui vise à (re)donner espoir à une population incarcérée depuis plus de sept semaines et lancer le redémarrage à la course économique d’un pays qui se déplace, depuis longtemps déjà, avec une guibolle de bois.
Par Johan Schies
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